Aller au contenu principal
Carnets politiques d'une jeunesse catholique de Paul Colrat, Foucauld Giuliani, Anne Waeles, jeudi 3 mars, 19h00

Dans le cadre du  programme Un Livre, Une voix, les Baptisé-e-s du Grand Paris vous ont proposé une rencontre par ZOOM le jeudi 3 mars avec Foucauld Giuliani, l'un des trois auteurs de "La Communion qui vient- Carnets politique d'une jeunesse catholique".

Vous trouverez ci-dessous des notes résumant la présentation du livre et l'échange du 3 mars avec la vidéo. Elles sont suivies de deux récensions de cet ouvrage dérangeant.

 

  Qu’est-ce qu’être catholique ?[2]

 Être catholique s’entend à trois niveaux, qui sont liés.

1° Au sens intemporel de la foi, être chrétien, c’est chercher à le devenir. C’est une œuvre de transformation personnelle perpétuelle sous le regard de la grâce, un appel permanent à la conversion.

2° Être catholique, c’est avoir conscience que la foi chrétienne se transmet dans le cadre de l’Église catholique, qui est une organisation très singulière, à quatre titres :

  1. Elle a une doctrine
  2. Elle a des sacrements
  3. Elle dispose d’un très important patrimoine. Ce n’est pas en soi un problème. Toute la question est : quel usage en fait-elle ?
  4. Elle est enfin un ensemble de communautés diverses et, à ce titre, elle rencontre des problèmes d’organisation et de pouvoir communs à toutes les organisations, ce qui engendre obligatoirement des tensions. Cette institution est en même temps le canal de la transmission de la foi et un obstacle à cette transmission. Il y a en conséquence deux logiques qui co-existent : une logique de la soumission, avec une vénération de ce qui est considéré comme sacré et qui peut dégénérer en idéalisation de l’institution (on voit bien le danger que cela implique…) et une logique de la distinction, qui appelle à la critique (mais qui peut parfois dégénérer en volonté de supprimer purement et simplement l’Église).

On ne peut pas se dire catholique seul.

3° Il convient de considérer l’Église comme une institution destituante. L’Église est fidèle à sa mission quand elle ne suit pas la volonté de puissance et les règles habituelles d’une institution. Car elle dévoile une vérité de l’histoire : la croix révèle que celle-ci est tragique.

 

Que faut-il entendre par Communion ? [3]

Le christianisme accomplit la promesse messianique. Ainsi :

Jésus, par son incarnation, est en soi cet accomplissement. Mais il ne faut pas se laisser aller à une sorte de nostalgie d’un Âge d’or. Il faut plutôt prendre son incarnation comme une métaphore de la croissance, ce terme si présent dans l’évangile. La communion se poursuit et chemine dans l’histoire

L’incarnation de Jésus   provoque – et c’est essentiel - une totale désacralisation, car elle entraîne une mise à distance de tous les objets relatifs.

Ainsi, la communion est la grâce en tant qu’œuvre de Dieu qui passe par les hommes pour élaborer le projet de Dieu pour le monde.  La communion est en tension avec le péché. Elle est un défi à réaliser. N’oublions pas que Jésus nous dit « Le royaume est au milieu de vous ».

Au cours des échanges, des personnes demanderont si, finalement, la Communion ne doit pas être référée à la Trinité plutôt qu’à la seule personne de Jésus.

 

Que faut-il entendre par « paroisse », concept au cœur du livre ?[4] 

 Il convient de distinguer la paroisse du foyer.

Le foyer est là où chacun est à sa place. C’est le lieu de l’ordre.

La paroisse nous renvoie au fait que l’homme est un errant sur Terre. Nous sommes là pour servir nos frères. Bien souvent, il y a confusion entre paroisse et lieu de culte. La paroisse, ce sont les communautés des croyants qui ont à réaliser « l’être en commun », dans toutes les sphères de la vie (du plus matériel au plus spirituel), dans la logique de la Bonne Nouvelle.  Les chrétiens sont invités à se mettre au point en interne, pour mieux annoncer la Bonne nouvelle en externe.

Aussi, la paroisse est le lieu où s’élabore le mode de vie chrétien, étant entendu que ce mode de vie repose en son cœur sur la prière.

Réciproquement, on peut dire que tout lieu qui élabore, dans la prière, un être en commun, est une paroisse.

La paroisse se construit donc en tension avec l’institution.

Sur le Dorothy

Le Dorothy Café (comme le Simone à Lyon) illustre ce fonctionnement. Le Dorothy est un lieu indépendant de la paroisse voisine (Notre-Dame-de-la-croix de Ménilmontant dans le 20è arrondissement de Paris). Mais les locaux appartiennent à la paroisse qui les leur loue. Par ailleurs, la plupart des membres du Dorothy fréquentent la paroisse comme paroissiens. Ce sont des chrétiens plutôt engagés.

Au Dorothy, nous ouvrons des lieux, nous les portons dans la prière, nous faisons  de multiples choses pour rendre service.  Nous avons une prière hebdomadaire en trois temps :

  • Temps de louange
  • Temps de lectio divina (soit sous forme de manducation, soit sous forme de partage : silence + partage de ce que le texte nous dit aujourd’hui)
  • Temps d’intentions (communautaire et universelle)

 

Sur l’époque actuelle

Nous parlons souvent dans le livre de « déconstruction ». Par déconstruction nous n’entendons pas « destruction » mais « faire apparaître les bonnes questions »

Nous lisons dans le monde actuel un mouvement de déchristianisation, mis en évidence par les sociologues) et un questionnement sur l’identité. Les gens s’interrogent sur la place de la France et cette interrogation peut conduire à une instrumentalisation de la religion. En même temps, nous ressentons un grand besoin de Dieu. Même si cela s’exprime maladroitement, notre époque est en crise existentielle, face à une économie destructrice. Notre époque est asséchée et assoiffée. Elle a un profond besoin de Dieu.

Patrice Obert

 

[1] Ce compte rendu a été complété et validé par F Giuliani. Merci à lui

[2] Dans le livre, voici ce qui est dit de l’Église : p 35 « L’institution de l’Église par Jésus coïncide avec sa faillite à travers Pierre. Cela signifie soit que l’Église est mort-née, soit qu’elle n’existe qu’au sein de son échec, dans une tension entre ce qu’elle est et ce qu’elle devrait être, c’est-à-dire qu’elle n’existe que dans un état de crise, d’inadéquation avec sa vocation ». p 71 «   Le Christ n’a pas mis de l’ordre, il a désordonné le faux ordre et cela non par goût de la confusion mais de la communion ». p 76 « L’Église … est à la fois …un lieu visible qui instaure des séparations entre baptisés et non-baptisés, et un espace invisible dans lequel se retrouvent des baptisés et des non-baptisés… L’Église n’existe donc pas comme les autres institutions, en instituant un dehors et un dedans, mais en parlant tout haut ; elle est une institution qui abolit sa propre localité, qui n’est dans un lieu que pour ouvrir un espace ». Il en découle qu’il n’y a pas d’identité chrétienne (p 81), « le chrétien ne dit pas « je suis » (appartenance à un groupe social) mais « je crois » (appartenance au Christ).

De ces éléments, ils déduisent que le christianisme est une course, une crise (p 57) ; qu’ « il n’est pas (p 78) une racine mais une greffe, une puissance de conversion de tout ce qui est créé… L’héritage subsiste par sa conformité à ce qui le précède, alors que la greffe tient par sa fécondité même ».[3] Dans le livre, les références à la communion sont les suivantes : Mot majeur qui constitue le titre même de l’ouvrage. P 49 « la communion… e

l’articulation de l’hétérogène. La communion est l’expression de ce mystère qui, politiquement, n’a pas encore été exploré : Dieu est Trinité ». P 50 « la communion est une présence à soi, aux autres et à Dieu… La communion commence avec la parole donnée, c’est-à-dire le serment. C’est pourquoi la communion est le point à partir duquel nous pensons politiquement ». P 63 « Par communion, nous entendons donc un triple phénomène : union de Dieu avec Lui-même, union de Dieu avec nous et union avec la Création. Cette communion est déjà donnée… Elle est la source éternelle, c’est-à-dire éternellement présente…. Le péché est le refus et l’oubli de la communion ». P 64 « En dépit du péché, la communion reste première tant dans l’ordre chronologique (elle est ce qui a inauguré la Création) que dans les ordres ontologique (elle est ce pour quoi nous sommes faits) et historique (Dieu poursuit son dessein d’amour). … Elle est l’unique point de référence à partir duquel se mesurent nos actes ». P 85 « La communion est à la fois toujours déjà là, et en même temps toujours à venir, et ne sera réellement achevée qu’au Ciel ».

[4] Dans le livre, on note : p 9 « la paroisse est la manière d’être sur le mode du séjour, c’est-à-dire en admettant sa distance au monde et aux autres, et en faisant de cette distance l’occasion d’une proximité. Dans une paroisse, la rencontre est favorisée par la distance : le Malien est plus proche que le voisin ronchon, le marginal appauvri plus proche que l’inclus winner, l’ancien alcoolique plus proche que l’irréprochable voisin ». p 48 « Elle n’est ni le foyer, ni l’État, ni l’empire, elle est l’appropriation temporaire d’un territoire en vue d’y accueillir une certaine communion… La paroisse est ce qui lie une forme particulière à l’universel... Devenir catholique, c’est devenir paroissien, paroikos, c’est-à-dire une sorte d’étranger à sa patrie ». P 48 « La paroisse… n’est ni l’apologie sincère du retour à la nature, ni celle, intéressée, du néolibéralisme ». p 51 « Vivre en paroissien consiste à articuler quatre gestes : prier, penser, s’organiser, agir… » P 53 « La prière constitue la paroisse dans sa vocation politique ». Ce qui amène à définir la politique, qui (p 51) n’est pas la lutte pour la conquête du pouvoir mais le service aux plus pauvres et au bien commun universel.

 

 

* * *

 

Recension du livre par Céline Béraud, extraite du site de la Revue Projet : https://www.revue-projet.com/comptes-rendus/2021-12-beraud-la-communion-qui-vient/10924 :

 

Leurs prises de position détonnent au sein d’une jeunesse catholique souvent perçue comme conservatrice. Les trois jeunes auteurs de La Communion qui vient les revendiquent au nom d’une foi sans concession.

Paul Colrat, Foucauld Giuliani et Anne

Waeles ont pour point commun d’avoir une trentaine d’années, d’enseigner la philosophie et d’être catholiques. Leur engagement s’est déployé au cours des dernières années au sein de deux collectifs originaux, deux cafés associatifs : le Dorothy fondé à Paris en 2017 – en référence à Dorothy Day (1897-1980) grande figure du catholicisme social américain mais encore peu connue en France - et le Simone – en hommage à Simone Weil – ouvert à Lyon en 2015.

Leur thèse est d’emblée formulée : la « mission essentielle de la foi » est de « mettre en lumière les contradictions entre l’ordre du monde et la justice désirée par Dieu sur terre ». Dans cette perspective, se trouve fondé leur refus de toute instrumentalisation du religieux par le politique, en particulier lorsqu’il s’agit de mettre en avant des « racines chrétiennes de la France » contre l’islam, ou encore lorsqu’il est question de « valeurs » à défendre. Le catholicisme ne saurait être mis au service ni d’un « ordre civilisationnel », ni d’un « ordre moral ». De ce point de vue, le livre prend assez largement le contre-pied de celui de Guillaume Cuchet1 qui plaide pour un « catholicisme culturel », réservoir d’un ensemble de « ressources » disponibles même en dehors de toute croyance.

Une telle radicalité les conduit à condamner le capitalisme, à critiquer « les fictions de l’individu » (et leur corollaire d’injonction à l’autonomie), et à se prononcer pour un accueil inconditionnel des personnes migrantes. Leur refus de toute compromission s’exprime également à propos des violences sexuelles : « Si, comme le dit le Credo, l’Église est sainte, cela signifie au minimum qu’elle n’est pas et ne peut pas se comporter comme une institution semblable aux autres. » Les discours tendant à comparer ce qui s’est produit dans la sphère ecclésiale à d’autres institutions pour en relativiser la gravité sont jugés purement et simplement irrecevables.

Contre l’ordre naturel

Les trois philosophes prennent soin de marquer leurs distances avec d’autres jeunes catholiques (un intérêt pour l’expérience des jeunes zadistes est, en revanche, plusieurs fois exprimé) à qui on ne saurait les assimiler. On pense aux Veilleurs lorsqu’il est question « des lecteurs hâtifs de Gramsci ». La référence est plus explicite encore à celles et ceux qui, dans le sillage de la revue Limites prônent la sobriété et mettent en œuvre une écologie intégrale, qualifiée par les auteurs de « concept fourre-tout » : « Nous conformer à un ordre naturel, stable, bien réglé n’est pas une idée chrétienne mais païenne, elle exprime la tentation d’échapper à l’Histoire pour trouver refuge dans la régularité des cycles cosmiques. »

La critique se fait aussitôt plus précise : « Bien souvent, deux concepts de nature sont confondus : la nature comme ce qui préexiste à la culture, et l’idée de l’homme tel qu’il est voulu par Dieu. » Quant à La Manif pour tous, elle est présentée pour les personnes de leur génération qui y ont pris part comme « un péché originel » : « Le mal commis a consisté à blesser moralement et spirituellement les personnes pour qui cette loi était conçue en s’opposant à celle-ci par une débauche d’énergie rarement observée pour un sujet politique, et en frayant avec d’odieux personnages politiques auxquels ce mouvement a donné de la force. »

Ces jeunes catholiques viennent bousculer les typologies par lesquelles la sociologie appréhende leur monde religieux.

C’est d’ailleurs sur les questions de genre que le propos prend un ton particulièrement incisif. Il fustige l’inquiétude développée au sein du catholicisme contre ce qui trouble les normes de genre et les appels à « refonder » des dernières, comme lors des stages de « revirilisation ».  L’aporie du discours du magistère sur l’égalité dans la différence est à cet égard soulignée. Plusieurs pages s’attachent à déconstruire les discours relatifs « au respect de la vie » (il s’agit en fait d’ « en finir avec la bioéthique ») et à « la défense de la famille » (en tant que « lieu de transmission et de reproduction du patriarcat »). À la prétendue « famille chrétienne » se trouvent opposés la figure queer du moine et le célibat des prêtres, qui témoigne de la possibilité d’échapper à l’impératif social de la reproduction. Pour autant et plus classiquement, on retrouve sous la plume du trio d’auteurs la dénonciation de « l’extension de la procréation technique, de la GPA, de la prostitution et de l’euthanasie ».

Au final, ces jeunes catholiques viennent bousculer les typologies par lesquelles la sociologie appréhende leur monde religieux. Ainsi, si l’on reprend celle de Philippe Portier, on ne peut pas les classer du côté des catholiques « d’identité » pas plus que de celui des catholiques « d’ouverture »2. De même, la grille politique droite/gauche comme celle opposant « conservateurs » et « progressistes », que les auteurs récusent ici explicitement, ne semblent guère davantage opérantes. Ces « observants », qui se définissent comme des « paroissiens », n’ont néanmoins pas grand-chose en commun avec celles et ceux décrits par Yann Raison du Cleuziou3. L’ouvrage, extrêmement stimulant, donne à voir la grande pluralité interne au monde catholique, caractéristique qui vaut tout autant pour ses membres les plus jeunes.

1 Le catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France ? Seuil, 2021.

2 « Pluralisme et unité dans le catholicisme français », in Céline Béraud, Frédéric Gugelot et Isabelle SaintMartin (dir.), Le catholicisme sous tensions, Editions de l’EHESS, 2012, p.14-35.

3 Une contre-réforme catholique. Aux origines de la Manif pour tous, Seuil, 2019.

Céline Béraud
10 décembre 2021

 

* * *


Fiche de lecture du livre par Patrice Obert

 

J’ai reçu ce livre comme un coup de poing en pleine poitrine. Pour ressentir ce choc, lisez les pages 7, 55 et 213/214, notamment. J’ai été bousculé par la radicalité assumée, argumentée et fondée sur le message du Christ, de ces trois jeunes auteurs qui se définissent page 120 comme « des assoiffés d’absolu ».

 

J’ai été interpellé par l’originalité de leur discours qui mêle intimement foi et politique, à l’image du titre de leur ouvrage « La communion qui vient/carnets politiques d’une jeunesse catholique ». Ainsi, page 28 « ce qui est aboli par la foi chrétienne, c’est la politique définie comme pouvoir légitime et comme contrainte… » ou page 53 « la prière… est ce qui constitue la paroisse dans sa vocation politique… ». Ils tissent des liens surprenants entre leur engagement chrétien et une vision   particulière de la politique.

J’ai également ressenti un malaise, qui tient à deux raisons. La première raison est leur volonté explicite, systématique, de déconstruire. Il suffit de feuilleter les titres ou sous-titres pour s’en convaincre : se dégager du pouvoir, déciviliser le christianisme, destituer l’économisme, déconstruire les villes, déconstruire « la vie » et la « famille ». Ce qu’ils résument page 212 «  ne pas être  les digues qui sauvegardent les limites, mais le courant qui renverse les dispositifs de contrôle ». La seconde raison tient à leur ré-interprétation de plusieurs termes classiques qui sont au cœur de leur ouvrage. D’autant que ces mots, ils n’en finissent pas de les définir par petites touches, de les préciser. Le lecteur – mais sans doute est-ce un effet recherché - en sort perturbé. Quels sont donc ces mots-clés ? La communion, la paroisse, l’enracinement, l’église. Entrons dans le détail.

 La Communion : Mot majeur qui constitue le titre même de l’ouvrage. P 49 « la communion… est l’articulation de l’hétérogène. La communion est l’expression de ce mystère qui, politiquement, n’a pas encore été exploré : Dieu est Trinité ». P 50 « la communion est une présence à soi, aux autres et à Dieu… La communion commence avec la parole donnée, c’est-à-dire le serment. C’est pourquoi la communion est le point à partir duquel nous pensons politiquement ». P 63 « Par communion, nous entendons donc un triple phénomène : union de Dieu avec Lui-même, union de Dieu avec nous et union avec la Création. Cette communion est déjà donnée… Elle est la source éternelle, c’est-à-dire éternellement présente…. Le péché est le refus et l’oubli de la communion ». P 64 « En dépit du péché, la communion reste première tant dans l’ordre chronologique (elle est ce qui a inauguré la Création) que dans les ordres ontologique (elle est ce pour quoi nous sommes faits) et historique (Dieu poursuit son dessein d’amour). … Elle est l’unique point de référence à partir duquel se mesurent nos actes ». P 85 « La communion est à la fois toujours déjà là, et en même temps toujours à venir, et ne sera réellement achevée qu’au Ciel ».

La paroisse (ou la vie en paroissien) :  p 9 « la paroisse est la manière d’être sur le mode du séjour, c’est-à-dire en admettant sa distance au monde et aux autres, et en faisant de cette distance l’occasion d’une proximité. Dans une paroisse, la rencontre est favorisée par la distance : le malien est plus proche que le voisin ronchon, le marginal appauvri plus proche que l’inclus winner, l’ancien alcoolique plus proche que l’irréprochable voisin ». p 48 « Elle n’est ni le foyer, ni l’Etat, ni l’empire, elle est l’appropriation temporaire d’un territoire en vue d’y accueillir une certaine communion… La paroisse est ce qui lie une forme particulière à l’universel... Devenir catholique, c’est devenir paroissien, paroikos, c’est-à-dire une sorte d’étranger à sa patrie ». P 48  « La paroisse… n’est ni l’apologie sincère du retour à la nature, ni celle , intéressée, du néolibéralisme ». p 51 « Vivre en paroissien consiste à articuler quatre gestes : prier, penser, s’organiser, agir… » P 53 « La prière constitue la paroisse dans sa vocation politique ». Ce qui amène à définir la politique, qui (p 51) n’est pas la lutte pour la conquête du pouvoir mais le service aux plus pauvres et au bien commun universel.

L’enracinement :  ils y consacrent un chapitre entier (p 99 à 108). P 99 « Nous rejetons le fantasme réactionnaire d’un enracinement défini comme résistance culturelle, nous croyons en revanche en la possibilité d’un enracinement conçu comme une condition de disponibilité au prochain ». ou p 106 « Être enraciné signifie travailler à réunir les conditions matérielles et spirituelles pour vivre, en un point de l’espace, l’appel évangélique ».

L’Eglise :  p 35 « L’institution de l’Eglise par Jésus coïncide avec sa faillite à travers Pierre. Cela signifie soit que l’Eglise est mort-née, soit qu’elle n’existe qu’au sein de son échec, dans une tension entre ce qu’elle est et ce qu’elle devrait être, c’est-à-dire qu’elle n’existe que dans un état de crise, d’inadéquation avec sa vocation ». p 71 «   Le Christ n’a pas mis de l’ordre, il a désordonné le faux ordre et cela non par goût de la confusion mais de la communion ». p 76 « L’Eglise … est à la fois …un lieu visible qui instaure des séparations entre baptisés et non-baptisés, et un espace invisible dans lequel se retrouvent des baptisés et des non-baptisés… L’Eglise n’existe donc pas comme les autres institutions, en instituant un dehors et un dedans, mais en parlant tout haut ; elle est une institution qui abolit sa propre localité, qui n’est dans un lieu que pour ouvrir un espace ». Il en découle qu’il n’y a pas d’identité chrétienne (p 81), « le chrétien ne dit pas « je suis » (appartenance à un groupe social) mais « je crois » (appartenance au Christ).

De ces éléments, ils déduisent que le christianisme est une course, une crise (p 57) ; qu’ « il n’est pas (p 78) une racine mais une greffe, une puissance de conversion de tout ce qui est créé… L’héritage subsiste par sa conformité à ce qui le précède, alors que la greffe tient par sa fécondité même ».

 En face de cette analyse, il est difficile de distinguer ce qui relève de la foi, du christianisme, de l’église de ce qui relève de la politique et du rôle du chrétien dans la cité. Encore faut-il prendre en compte quelques éléments fondateurs de la pensée des auteurs.

Le premier est l’hymne à la personne, avec une référence en p 161 à Emmanuel Mounier. On notera la distinction très intéressante faite entre l’humain, l’individu, le citoyen et la personne, en laquelle la relation prime sur la substance (p 153). A rebours, l’individu s’auto-fonde et recherche son autonomie en oubliant la socialité et la vulnérabilité.

 Le deuxième est le goût de l’événement. Là encore la référence au personnalisme de Mounier est claire. Cet événement est évoqué à plusieurs reprises (p 43, 70, 104, 181). Il signifie le surgissement de l’imprévu de l’altérité dans le cours de nos modes de vie.

Le pèlerinage en est un autre (p 101). Nous sommes en séjour.  Notre vie se joue dans une histoire-errance et une histoire-pèlerinage où nous avons à vivre de la charité de Dieu.

Enfin, on ne comprend pas la vision des auteurs si on oublie qu’ils ont tous trois été (ou sont encore) des membres actifs du Dorothy et du Simone, deux cafés associatifs à Lyon et Paris, qui ont pour ambition d’expérimenter collectivement l’Evangile dans la vie laïque de tous les jours. L’exemple cité p 47 signifie la primauté du pauvre et la présence concrète de Jésus.

 La dernière page de l’introduction expose l’ambition de leur travail « Nous parlons ici de politique en tant que catholiques…  Nous écrivons pour exposer comment nous comprenons la vie chrétienne, pour lutter contre les mensonges qui la défigurent… Nous partons du positif qu’est déjà la vie chrétienne incarnée par le Christ et esquissée dans les paroisses… ce qui nous conduit à un certain refus de ce que l’on présente comme « l’ordre ». En effet, la foi chrétienne exerce politiquement sa puissance de déflagration selon au moins trois axes. Elle désacralise et délégitime les pouvoirs mondains, politique et économique en faisant du maître le serviteur, elle nous ouvre à l’expérience de l’éternité… Elle ruine les prétentions du sujet à l’identité l’ouvrant à la découverte en lui-même de l’altérité divine qui l’appelle au don de soi - ce qu’on appelle l’amour- où s’expérimente la béatitude ».

Une telle radicalité suscite des questions de deux ordres.

Sur la conception de l’église :

  1. Qu’est-ce qu’être catholique aujourd’hui ?
  2. En quoi leur vision de la paroisse modifie notre relation à l’Eglise, telle que nous la connaissons ?
  3. Comment voient-ils l’église de demain, après la crise du cléricalisme ? (dans la mesure où ils évoquent dans leur livre des concepts comme le sacrement de réconciliation (p 165), la prière et le pardon (p 165), le sacerdoce baptismal (p 166), le partage des tâches entre hommes et femmes dans l’église (p 174 et s), un féminisme chrétien (p 184), les dames-caté progressistes-à-bigoudis (p 189). Que faire de l’institution ?

 Sur leur conception de la politique :

Compte tenu du fait qu’ils dressent un bilan accablant de la politique : nous vivons dans un monde « surpolitisé » (p14), la politique est en crise (p60), le capitalisme, dans sa démesure, défigure la démesure du christianisme (p 123). Le capitalisme représente « un pouvoir plastique exercé sur toutes les sphères de nos vies » (se nourrir, voyager, avoir des désirs sexuels…). Il faut donc se dégager du pouvoir (p23) et non pas suivre une logique légitimiste, mais une logique évangélique « en suivant une manière originale d’organiser la vie en commun » (p 28). Ainsi ils en appellent à « une antipolitique » ( p 210) qui consiste à « détruire un certain esprit de contrôle de nos vies ».

  1. Faire de la politique, pour eux, se limite-t-il à agir localement au Dorothy ou au Simone ?
  2. Leur haine du capitalisme exclut-elle toute action « réformiste » ou « social-démocrate » ou exige-t-elle une révolution politique ? Et si oui, laquelle ?
  3. Peut-on se contenter d’une action locale (d’une communion au niveau de la paroisse) en laissant aux autres (non-baptisés ?) le soin de s’occuper des affaires du monde ?

Enfin on se doit de noter :

  • Leur long développement sur « Nous n’avons rien à craindre de l’islam » (p 86 à 98)
  • Leur critique de l’écologie intégrale (p 159)
  • Leur critique de la Manif pour tous (p199) ET de l’anthropologie dualiste et individualiste (p 183 et 184) qui justifie la procréation technique, la GPA, la prostitution et l’euthanasie.
  • On aimerait également connaître leur opinion sur les thèses de Bruno Latour qui nous appelle à « atterrir ».

On l’aura compris, ce livre bouscule et interpelle.

Video Url
Image