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Que vont devenir les 60 mesures présentées pour lutter contre les abus sexuels dans l'Eglise ?

Article paru sur le site de La Vie, le 31 mars 2023

 

Texte complet du rapport :

https://baptisesdugrandparis.fr/sites/default/files/2023-04/rapport-complet-final.pdf

Groupes de travail : ce que les évêques ont finalement voté lors de leur assemblée plénière

Lors de leur vote de fin d’assemblée plénière, les évêques se sont prononcés sur les propositions de deux groupes de travail sur neuf, se concentrant sur les éventuels changements relevant directement de leurs compétences. Les autres propositions ont été transmises aux instances concernées.

Par Youna Rivallain

Publié le 31/03/2023 à 16h13, mis à jour le 31/03/2023 à 16h13 • Lecture 7 min.

 

Un vote qui ressemble plus à un début de processus qu’à une prise de décision nette, et aux résultats qui paraîtront frustrants pour certains. Après une semaine d’assemblée plénière, la Conférence des évêques de France s’est prononcée sur les propositions des neuf groupes de travail le 30 et 31 mars 2023.

Créés il y a un an à la demande des évêques de France pour « déconstruire la toile de systémicité » ayant rendu possible les abus spirituels et violences sexuelles dans l’Église de France, ces neuf groupes, composés d’une centaine de laïcs, religieux, religieuses, prêtres et évêques, travaillent depuis un an sur des thèmes aussi variés que le partage de bonnes pratiques devant des cas signalés de violences sexuelles, l’accompagnement des auteurs de violences sexuelles ou encore le discernement vocationnel et la formation des futurs prêtres. Objectif : engranger de manière profonde et durable un changement de culture dans l’Église de France, en apportant des solutions à court, moyen et long terme.

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Au total, environ 60 propositions avaient été faites par les neuf groupes de travail. Mais, dans sa prise de décision, la Conférence épiscopale s’est principalement focalisée sur les propositions de deux groupes relevant directement de sa compétence. Les propositions des sept autres groupes ont été transmises aux instances compétentes.

Vote des évêques pour deux groupes sur neuf

Dans son discours de clôture de cette semaine d’assemblée, le président de la Conférence des évêques de France Éric de Moulins-Beaufort a donc insisté sur les réflexions des groupes 5 et 7, consacrés respectivement à l’accompagnement du ministère d’évêque ainsi que la manière d’associer les laïcs aux travaux de la Conférence des évêques de France. « En ce qui concerne ces deux sujets, nous avions des décisions à prendre qui nous engageaient au premier chef », ce qui explique que pour les propositions des sept autres groupes de travail, les évêques s’en soient remis aux instances compétentes – la CEF n’ayant pas de pouvoir hiérarchique, et ne pouvant pas contraindre les diocèses à mettre en place des résolutions qui les concernent en premier lieu.

Concernant l’accompagnement du ministère d’évêque, ceux-ci ont accepté le principe de visites régulières faites à chacun d’eux, en acceptant de définir les modalités pour que chaque évêque rencontre individuellement et régulièrement les prêtres de son diocèse, selon la taille et les caractéristiques propres à chaque diocèse. « Nous avons accepté d’améliorer la diversité dans la composition de nos conseils, processus qui est largement en cours. Nous avons trouvé judicieuse l’idée que tout nouvel évêque dispose d’un mentor plus expérimenté et que soit retravaillée la formation des évêques, dans les cinq premières années puis tout au long du ministère. »

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L’idée de « publication des bans d’évêque » rejetée

D’autres propositions de ce groupe n’ont cependant pas été adoptées. « Les deux propositions qui nous engageaient à demander à la nonciature de respecter un délai de 48h entre la sollicitation d’un prêtre nommé à l’épiscopat et la réponse attendue et à inscrire sur les supports de communication de la nomination d’un nouvel évêque : "Toute personne au courant d’un empêchement grave à l’ordination épiscopale est priée de contacter la nonciature" n’ont pas obtenu les deux tiers de voix nécessaires, sans doute parce que la première peut s’imposer sans mettre le nonce apostolique en difficulté et parce que la seconde a paru stigmatisante : l’annonce d’une nomination deviendrait l’ouverture de la possibilité de délation. En revanche, la culture de la responsabilité, qui veut que toute personne sachant des faits graves, se sente à la fois autorisée et tenue de les faire connaître et soit assurée d’être bien reçue, cette culture-là doit être encouragée. »

L’autre vote des évêques a concerné le groupe 7, sur l’association des laïcs aux travaux de la Conférence épiscopale. La proposition d’une assemblée plénière de style synodal tous les trois ans a été adoptée. Néanmoins, les propositions « visant à associer un groupe stable de fidèles prêtres ou diacres ou laïcs ou consacrées et consacrés tant à l’assemblée plénière qu’au conseil permanent n’ont pas été retenues. Il semble que beaucoup d’évêques se soient interrogés sur la légitimité de la désignation de telle ou telle personne de leur diocèse pour rejoindre l’assemblée plénière ou le conseil permanent plutôt que telle autre. »

Renvoi aux instances compétentes pour sept groupes sur neuf

Le président de la Conférence des évêques de France a ensuite abordé les travaux des sept autres groupes de travail, renvoyant la balle aux structures ayant autorité sur ces points. Ainsi, au sujet du groupe 1 concernant les bonnes pratiques devant des cas signalés, les évêques demandent aux cellules d’accueil et d’écoute aux victimes de chaque diocèse « de recevoir et travailler les analyses proposées et de voir comment les appliquer », a assuré Éric de Moulins-Beaufort, avant de mentionner que la CEF a prévu un audit pour lequel un appel d’offres va être lancé, et dont la mission sera d’analyser les cellules existantes. « Nous ne pouvons élargir le rôle des cellules ou le transformer sans en parler avec elles et sans appeler d’autres personnes à les rejoindre ou à les remplacer. »

Les évêques demandent également à ces structures de « vérifier si l’évêque dispose d’un réseau suffisant de personnes compétentes pour l’assister dans le traitement d’un cas éventuel ». La CEF a également prévu de poursuivre l’harmonisation des procédures mises en œuvre dans les diocèses, pour que le traitement des cas de signalement soit le plus homogène possible d’un diocèse à un autre. Concernant la proposition de création d’un observatoire national donnant un rapport annuel, les évêques se sont tournés vers le Conseil national de lutte contre la pédophilie et du Service national de protection des mineurs pour examiner cette demande.

Conseils presbytéraux, Conseil pour la prévention et la lutte contre la pédophilie, séminaires…

Sur la question de la confession et de l’accompagnement spirituel (groupe 2), les évêques se sont tournés vers les conseils presbytéraux pour examiner l’analyse et les propositions du groupe de travail, tout en assurant que l’ensemble des propositions les avaient convaincus. « Rendre clair que l’accompagnement spirituel est une mission reçue et adopter une charte nationale de l’accompagnement spirituel, travailler au respect du cadre du sacrement de la réconciliation, fortifier régulièrement les compétences des confesseurs, approfondir la formation des fidèles en vue de mieux vivre la célébration du sacrement, mettre en place une pénitencerie diocésaine ou interdiocésaine pour mener à bien ces tâches nouvelles. Mais, a ajouté le président de la CEF, toutes ces mesures deviendront efficientes si les prêtres y adhérent et les prennent à leur compte. »

Concernant l’accompagnement des clercs ou laïcs en mission ecclésiale mis en cause dans une affaire d’abus (groupe 4), les évêques ont chargé le Conseil pour la prévention et la lutte contre la pédophilie et le service national de la protection des mineurs de les aider à mettre en place les moyens nécessaires pour ce suivi au cas par cas.

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En réponse au groupe 4 sur le discernement vocationnel et la formation des futurs prêtres, les évêques ont enjoint les équipes responsables des séminaires en France à examiner les propositions de ce groupe, « à en travailler les présupposés et les intégrer dans leurs documents structurants. » Éric de Moulins-Beaufort a insisté sur le soutien apporté par les évêques aux propositions de ce groupe, « mais pour tout cela et le reste, il convient que les séminaires se l’approprient progressivement et en rendent compte aux évêques responsables et sans doute à d’autres personnes ».

Même démarche pour le groupe 6 sur l’accompagnement du ministère du prêtre, puisque les évêques ont remis le rapport aux conseils presbytéraux. « Les mesures suggérées nous semblent sages (…) mais elles ne porteront les fruits espérés que si les prêtres les reçoivent ou les désirent, les intègrent dans leur auto-compréhension et s’en servent comme aide (…). »

Responsabilité individuelle

Concernant le groupe 8 sur les causes des violences sexuelles dans l’Église, groupe ayant cristallisé par son thème de réflexion de nombreux débats et échanges denses, les évêques ont dit s’être « rendu compte que nous avions ouvert deux chantiers dont le champ recouvre à peu près totalement celui des suggestions qui nous sont faites : un chantier consacré aux ministères laïcs que deux Motu Proprio de l’an passé ont relancé ou élargi et dont il faudra que nous définissions les contours pour la France sans trop tarder ; un chantier quadruple pris en charge par notre Commission doctrinale qui a organisé quatre séries de travaux sur le ministère sacerdotal et les exigences éthiques du célibat ; l’instrumentalisation possible des Écritures et la juste interprétation ; la morale sexuelle et l’anthropologie chrétiennes ; sur la distinction du pouvoir d’ordre et du pouvoir de juridiction. »

Enfin, au sujet du groupe 9 sur la vigilance à avoir quant aux associations de fidèles menant la vie commune, les évêques ont dit avoir trouvé « utiles et ajustées » l’ensemble des propositions, tout en ramenant chacun à sa responsabilité individuelle. « Elles appellent chacun d’entre nous à être prudent et à ne pas rester seul même face à un projet sympathique ou prometteur de fidèles s’associant pour mener une vie commune. » Si les évêques ont insisté sur le devoir de respecter le droit d’association des fidèles et ne pas « contrister l’Esprit saint », ils demandent de tirer les « conclusions des drames désormais connus et de prendre les moyens d’accompagnement et de vigilance nécessaires ».

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Un point en mars 2025

« Vous pouvez avoir l’impression que, sur bien des sujets, nous renvoyons le dossier à d’autres, a reconnu le président de la Conférence des évêques de France. Ce n’est pas pour nous en débarrasser. C’est au contraire pour que les réflexions partagées et les décisions suggérées puissent entrer concrètement dans les faits et devenir la norme des comportements de tous et de chacun. » Éric de Moulins-Beaufort a néanmoins assuré que le conseil permanent des évêques avait reçu mission de veiller à l’avancée du « travail d’appropriation et de traduction en décisions concrètes chaque fois que ce sera possible. » L’assemblée plénière a prévu de faire le point sur le processus engrangé par les propositions des groupes de travail en mars 2025.

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