Envoyés ensemble ! Le rôle des femmes dans la mission de l’Église, Christiane Joly sfx
Envoyés ensemble ! Le rôle des femmes dans la mission de l’Église (Saint-Léger éditions, 2023) ; préfaces de François Odinet et de Benoist de Sinéty.
Le titre indique le propos : le Christ, envoyé du Père, nous envoie tous en mission, hommes et femmes, dans l’Église synodale du troisième millénaire qui est en train de naître.
Court, clair et documenté, ce livre est sur cette question une sorte de « Que sais-je ? » indispensable.
Le plan chronologique permet de suivre l’évolution depuis l’envoi en mission par le Christ, l’organisation des premières communautés et les transformations au cours de l’histoire, jusqu’aux débats d’aujourd’hui.
Les textes importants sont cités et datés, ainsi que les divers courants, féministes en particulier, qui ont vu le jour dans le monde. Ces références donnent une information précise qui permet d’éviter la polémique et les approches idéologiques ; elles éclairent de possibles débats.
Christiane Joly, éducatrice et théologienne, est membre de la Communauté apostolique Saint François-Xavier.
Baptisés du Grand Paris, 4 décembre 2024
Introduction :
Je suis heureuse de vous rejoindre ce soir pour parler du rôle des femmes dans la mission de l’Eglise, sujet o combien d’actualité ! je vais le faire en deux temps : D’abord en vous présentant le livre que des laïcs m’ont demandé d’écrire pour donner quelques repères historiques, théologiques, pastoraux permettant d’entrer dans la réflexion synodale sur ce sujet ; puis dans un deuxième temps j’aborderai directement ce qui s’est passé au synode depuis 2021 et à la session d’octobre 2024.
Quelques repères historiques et exégétiques :
En dehors même de tout contexte religieux, il faut bien reconnaître que les relations de domination de la femme par l’homme remontent à la nuit des temps !
La Genèse va donner lieu à des interprétations diverses, vous le savez : la femme tirée de la côte de l’homme en Gn 1. En Gn 2 le mot utilisé pour la création de l’homme est celui d’anthropos c’est-à-dire « l’humain », d’où la phrase si intéressante pour nous : « Dieu créa l’homme (anthropos) à son image, homme et femme il les créa ». Ils sont donc tous deux anthropos, images de Dieu.
Mais en Gn 3 intervient l’histoire du fruit défendu cueilli par la femme, histoire dont vont s’emparer des pères de l’Eglise : écoutez Tertullien : « La femme tient d’Ève […] la honte de la première faute et le reproche d’avoir perdu le genre humain […] Femme tu ignores qu’Ève c’est toi ! Vis donc, il le faut, en accusée…. C’est toi la porte du diable ! » [1] C’est violent !
Et c’est cette image dévalorisée de la femme que nous ont transmis les anciens et des Pères de l’Eglise enracinés qu’ils étaient dans la société patriarcale de leur époque. Elle continue d’influencer pour une large part la vision de la femme et son statut de soumission à l’homme, même s’il y a tout de même quelques progrès il faut le dire !
Venons-en à l’Evangile : la Résurrection de Jésus inaugure une nouvelle humanité : ses premiers mots publics sont pour annoncer sa mission d’annonce de la bonne nouvelle de libération de toute forme d’oppression, de maladie etc…et c’est ce que nous le voyons faire dans l’Evangile.
Il partage sa mission avec les douze, mais aussi avec les femmes - à l’encontre des habitudes de l’époque -. Elles reçoivent Jésus, l’entourent, le servent, lui et ses disciples ; elles sont seules avec Jean à le suivre jusqu’au pied de la Croix.
A qui Jésus confie-t-il sa mission ? …
Qui était présent le soir du Jeudi Saint ? A priori, seuls les douze. Un léger doute subsiste cependant, car le repas pascal se prenait en famille, donc avec les femmes. Mais nous n’avons aucune attestation sur ce point ni dans un sens ni dans l’autre.
Au matin de la Résurrection, le récit évangélique est formel : c’est à Marie-Madeleine que Jésus confie l’annonce de sa Résurrection : « Va trouver mes frères pour leur dire que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20, 17). Mystérieusement, ce ne sont pas Pierre et Jean, pourtant présents au tombeau, que Jésus charge de l’annonce de sa Résurrection, mais une femme, Marie-Madeleine, alors que le témoignage des femmes est peu crédible dans la société de l’époque. Ce faisant, Jésus manifeste la transformation dont est porteuse sa Résurrection.
À l’Ascension, À qui s’adresse l’envoi en mission ? qui était présent ? « Allez, de toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit et apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28, 19). Luc nous rapporte qu’après l’Ascension, les Apôtres s’en retournent à Jérusalem et montent dans la chambre haute « où ils se tenaient habituellement », et que là, « tous d’un même cœur, étaient assidus à la prière avec des femmes, avec Marie, la Mère de Jésus, et avec ses frères » (Ac I, 12-14). Elles ont donc vraisemblablement vécu avec eux l’Ascension et sont ensuite montées avec eux dans la chambre haute. Le jour de la Pentecôte, Luc reprend l’expression « ils se trouvaient tous réunis » (Ac 2, 1). Il serait étonnant, là aussi, que Marie et les femmes n’aient pas été là. Sur elles comme sur eux descend l’Esprit Saint, avec eux, elles sont envoyées en mission.
Dès ce jour de la Pentecôte, le baptême introduit hommes et femmes dans cette nouvelle identité qui fait d’eux des frères. C’est ce que saint Paul explicite clairement :
En effet, vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus[2]. (Ga 3, 28),
Ceci ne veut pas dire que le sexe soit sans importance : l’homme et la femme apportent chacun leur vision du monde, leur manière d’agir, et leurs deux regards sont indispensables. Un prêtre disait récemment : « si autour de la table nous étions des prêtres hommes et des prêtres femmes, nous ne regarderions pas la paroisse de la même manière. »
Les Actes témoignent d’une mission vécue « ensemble »
Les apôtres, comme Jésus, n’agissent pas seuls. Ils s’entourent de « collaborateurs et de collaboratrices ». Les femmes sont bien présentes, trois sont plus spécialement nommées dans les textes des Actes et les lettres de Paul : Junia, Priscille et Phoebé.
Phoebé[3], en particulier est « diaconesse de l’Eglise de Cenchrées »[4]
C’est la première personne citée en tête du chapitre 16 de l’épître aux Romains ce qui introduit une certaine solennité, mettant en avant sa place dans la communauté chrétienne.
Je vous recommande Phoebé, notre sœur, ministre (diakonos) de l’Église de Cenchrées. Accueillez-la dans le Seigneur d’une manière digne des saints, aidez-la en toute affaire où elle aurait besoin de vous. Car elle a été une protectrice (prostatis) pour bien des gens et pour moi-même. (Rm 16, 1-2)
C’est à elle que Paul demande de porter à Rome et d’expliquer à la communauté sa « lettre aux Romains ». Le terme de « diaconesse » n’a pas le même contenu qu’aujourd’hui, il désigne en particulier celui ou celle qui est chargé d’un message, qui représente une autorité où la parole a une place importante, qui est en position de responsabilité. Phoebé réunissait chez elle la communauté lorsque Paul était absent.
Dès la fin du 1er siècle l’organisation de l’Eglise qui s’inspire de celle des esséniens, une branche du judaïsme, donne aux hommes la direction des communautés…
L’institutionnalisation de l’Eglise au 4ème s va achever de déstabiliser ces relations hommes-femmes pourtant si prometteuses du temps de Jésus !
A partir du moment où la liberté de culte est donnée par Constantin en 313, des églises de pierre vont se construire. Le culte sort du « privé des maisons particulières » pour devenir « public ». Les femmes n’étant pas admises dans la sphère publique, le rôle qu’elles jouaient dans les « Eglises de maison » disparaît. Et l’Eglise calquant son organisation sur celle de l’empire romain développe le rôle des hommes au détriment de celui des femmes dans la société et l’Eglise.
Au VI ème siècle, devant les abus du clergé – cela ne date pas d’hier !- l’obligation du célibat sacerdotal est décrétée par le Pape Grégoire le Grand. Cette décision met le prêtre à part dans le peuple chrétien. Au XVIème siècle, face à la Réforme protestante, le Concile de Trente accentue l’importance cultuelle du prêtre et sacralise en quelque sorte sa personne, ce qui renforce le cléricalisme.
Il ne faut cependant pas oublier toutes les femmes qui par leur personnalité vont jouer un rôle particulier dans le peuple chrétien pendant toute cette période : Ste Geneviève, Jeanne d’Arc, Hildegarde de Bingen, Thérèse d’Avila etc…Vous les trouverez dans le livre, je ne m’y arrête pas.
Faisons un grand saut dans l’histoire pour arriver à l’époque moderne
La période de la fin du XIXe et du début du XXe siècle est marquée par un ensemble de bouleversements qui touchent particulièrement les prêtres et les femmes.
Le malaise des prêtres :
Dans l’Église catholique romaine, vers 1924 naît peu à peu le grand mouvement d’Action catholique qui met l’accent sur le rôle des laïcs, obligeant les prêtres à clarifier leur mission propre dans le peuple de Dieu.
En 1929, une première femme devient pasteure dans l’Eglise protestante. Le mouvement se généralise autour des années 1960 ; c’est une évolution qui ne peut qu’interroger les prêtres et bien sûr les femmes.
La révolution des mœurs de 1968 en France entraîne l’abandon du sacerdoce ministériel par nombre de prêtres qui ne comprennent plus la valeur de leur engagement pastoral dans cette Église critiquée, bouleversée de toutes parts.
Aujourd’hui la plupart des prêtres peinent à la tâche, sont débordés par le faire de leur action. La crise des abus les a touchés de plein fouet. La question du célibat résonne pour certains comme une mise en question de leur engagement d’Amour exclusif pour le Christ ; pour d’autres comme une prise en compte bienfaisante de leur fragilité.
Il est clair que, sans généraliser bien sûr, beaucoup de prêtres cherchent aujourd’hui quel est leur positionnement dans le peuple de Dieu, quelle est leur identité, leur mission.
II.2 Le malaise des femmes
Il n’est pas du même ordre que celui des prêtres, : leur statut social évolue positivement : droit de vote, autonomie financière, accès à la contraception, droit d’avorter ; tout cela éveille en elles la conscience d’avoir leur mot à dire dans la société et dans l’Eglise. Leur malaise est celui d’une frustration. Elles sont de plus en plus présentes à de hauts niveaux de responsabilité, dans le monde social, politique, scientifique ; mais dans l’Église, la parité hommes femmes n’existe tout simplement pas !
C’est en présentant une relecture de la Bible que les femmes commencent à s’affirmer dans l’Eglise. Entre 1895 et 1898 paraît The Woman’
Bible, écrit par Elizabeth Cady Stanton[5] et un groupe de femmes aux Etats Unis qui se sont formées en Grec, en hébreu et en théologie.
Le livre met en lumière le modèle interprétatif androcentrique de la Bible, selon lequel la femme doit être soumise à l’homme.
La Commission Biblique Pontificale internationale reconnaît la valeur de cette recherche exégétique qui renouvelle la théologie :
La sensibilité féminine porte à déceler et à corriger certaines interprétations courantes, qui étaient tendancieuses et visaient à justifier la domination de l'homme sur la femme[6]
A côté de cette relecture féminine de la Bible, des groupes de femmes se forment pour promouvoir l’égalité hommes femmes dans tous les domaines, dont l’accès au sacerdoce ministériel. C’est ainsi que naît le réseau de l’Alliance Jeanne d’Arc à Londres, qui sera suivi par beaucoup d’autres de par le monde.
Les relations de ces réseaux, et de nombre de femmes avec le magistère catholique ne sont pas simples car l’Eglise a du mal à appréhender l’évolution sociale des femmes.
Cependant, En 1971 A Rome, au deuxième Synode ordinaire des évêques, le Cardinal Flahiff de Winnipeg au nom d’évêques du Canada et des Etats Unis dépose une requête pour étudier en profondeur le statut des femmes et leur admission à l’ordination sacerdotale[7].
En dépit d’une tradition multiséculaire qui empêche les femmes d’avoir part au ministère, nous estimons que les signes des temps nous contraignent à étudier la situation actuelle et à envisager des possibilités pour l’avenir. Le signe le plus évident est que des femmes accomplissent déjà avec succès des tâches pastorales.
Rome demande donc à la Commission biblique pontificale internationale[8] d’étudier les ministères des femmes dans l’Église, d’un point de vue scripturaire. Le rapport, terminé en 1975 conclue, à l’unanimité, qu’il n’existe aucune objection scripturaire à l’ordination des femmes, et que l’Église pourrait les ordonner sans contrevenir à l’intention du Christ[9]. Ce rapport ne fut jamais publié.
Le 15 octobre 1976 une Déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Inter insignores précise nettement la position de l’Eglise refusant l’accession des femmes au presbytérat, en s’appuyant sur l’argument de la Tradition qui met en avant la masculinité du Christ .
En 1994, une lettre apostolique de Jean-Paul II, Ordinatio sacerdotalisveut signifier un non irrévocable à cette question. Il est intéressant de noter que cette lettre s’adresse aux évêques, commençant par la formule « Vénérables frères dans l’épiscopat ». Les évêques, qui sont confrontés à la question, et qui pour un certain nombre d’entre eux – en Allemagne et en Amérique du Nord en particulier – seraient favorables à l’ordination des femmes.
Les théologiens sont mal à l’aise devant ce texte dont le caractère définitif est discutable théologiquement, en particulier du fait que la décision a été prise par le Pape seul, donc pas dans les conditions d’une infaillibilité pontificale, formulée dans une lettre apostolique qui n’a pas le même degré d’autorité qu’une encyclique. Mais cela a été ressenti comme un réel coup d’arrêt dans le peuple chrétien, qui a plongé les femmes et de nombreux laïcs, prêtres, théologiens, dans la perplexité, voire le désarroi.
La période contemporaine
Alors, que faire après Ordinatio sacerdotalis ?
- Du côté des femmes,
En 2007, Pauline Jacob[10] théologienne canadienne, publie un livre « Appelées aux ministères ordonnés » dans lequel elle met en lumière des témoignages de femmes qui se disent appelées au sacerdoce ministériel : « Dieu n’appelle pas un « sexe », il appelle une « personne ».[11]disent-elles.
Leur appel, soulignent-elles est celui d’un service qui répond à un besoin dans l’Eglise. Déçues du manque de considération de l’Eglise à l’égard de leur désir missionnaire,beaucoup la quittent. Certaines se tournent vers le monde protestant pour pouvoir accéder au pastorat, d’autres enfin – et c’est le plus grave- choisissent la transgression et se font ordonner prêtres et évêques par des prélats acquis à leur cause, plus ou moins en marge de l’Eglise officielle, tout en ayant été eux-mêmes validement ordonnés. Elles justifient ainsi leur démarche, reprenant à leur compte les paroles de Pierre dans les Actes : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes »
C’est ainsi que Le 29 juin 2002 un groupe de sept femmes, les Sept du Danube, originaires d’Allemagne, d’Autriche et des États-Unis, appartenant au mouvement RCWP (Roman Catholic Women Priests) sont ordonnées prêtres sur un bateau naviguant sur le Danube, par Mgr Romulo Antonio Braschi, Mgr Ferdinand Regelsberger et un troisième évêque dont le nom est resté secret.
L’autorité romaine réagit aussitôt en excommuniant ces femmes et ceux qui les ont ordonnées. En France, le 02 juillet 2005 Geneviève Beney[12], une femme de 56 ans, mariée à un protestant, est "ordonnée" prêtre sur une péniche à Lyon par trois femmes évêques venues d'Allemagne, d'Autriche et d'Afrique du sud, dont deux faisaient partie des 7 du Danube. Elle est aussitôt excommuniée elle aussi.
Du côté des théologiens :
Le théologien catholique John Wijngaards[13] et le théologien orthodoxe Anastasios Kallis[14] reprennent les mêmes remarques que celles avancées par le Cardinal Flahiff de Winnipeg , soulignant que
La séculaire non-ordination des femmes est un fait historique. Mais les arguments invoqués pour justifier ce fait relèvent essentiellement de facteurs culturels. […] Aujourd’hui…le problème se pose en termes nouveaux […][15]
À partir de 2017,
Le Pape François cherche à déplacer la question de l’ordination des femmes en favorisant leur accès aux postes de décision : Nathalie Becquart comme sous-secrétaire du synode par exemple. Par la réforme de la Curie en 2022, le Pape ouvre le gouvernement de dicastères a des laïcs hommes ou femmes. Des « ministères institués » sont créés, pour la catéchèse en particulier.
- Mais Le Pape était conscient du malaise qui s’installait dans le peuple chrétien ce que j’ai évoqué dans mon livre ; malaise qui freinait, paralysait parfois sa mission d’annonce de la Bonne Nouvelle. Il a bien perçu combien ce malaise venait de relations défectueuses entre les membres de l’Eglise : cléricalisme, manque de partage des responsabilités, manque de reconnaissance de la diversité culturelle de l’Eglise etc…c’est pourquoi il a lancé ce synode sur la synodalité : c’est-à-dire sur les relations ecclésiales. Une décision prophétique !
J’en arrive donc à ma deuxième partie : le synode
Celui-ci s’est déroulé sur 3 ans, de 2021 à 2024 et est loin d’être achevé !
à quoi ont abouti ces trois ans ? on sent qu’il y a beaucoup de déçus : aucune décision n’a été prise disent-ils. Vraiment ? je ne partage pas du tout cette vision des choses, et voilà pourquoi !
- Mesure-t-on la révolution ecclésiale qui est en train de se vivre depuis 2021 ?
- Un synode qui part de la base, qui commence par donner la parole aux chrétiens et non chrétiens du monde entier qui le souhaitent, leur demandant que viennent au grand jour « les joies et les espoirs des hommes de ce temps « comme le dit la constitution Lumen Gentium de Vatican II ; sans éluder toutes les questions qui fâchent et que nous venons d’évoquer. Tout est mis librement sur le tapis ! Aucune autre instance mondiale n’a jamais osé ce type de démarche !! C’est l’Acte d’une foi espérante extraordinaire de la part du Pape !
Même si certains ont boudé cette consultation n'en voyant pas l’intérêt, 112 conférences épiscopales sur 114 ont joué le jeu et y ont répondu. Cette large libération de la parole est déjà un immense pas en avant !
- Le secrétariat du Synode qui a recueilli cette parole multiforme l’a organisée, sans en extraire les questions délicates, et en a confié les résultats à la réflexion de l’assemblée synodale d’octobre 2023 : un groupe de 368 chrétiens, composée d’évêques en majorité – l’assemblée a pour nom synode des évêques jusqu’à maintenant ! - Mais aussi de religieux et religieuses, et même de laïcs, dont une cinquantaine de femmes, parmi lesquelles 35 avaient le droit de vote. Cet élargissement du synode des évêques est une autre révolution.
- Mais allons plus profond : écoutons le Pape :
« le Seigneur met entre nos mains l’histoire, les rêves et les espérances d’un grand peuple»[16]
Il s’agit de recevoir de Dieu lui-même cette consultation et de la scruter avec l’Esprit Saint pour être en mesure de réformer ce qu’il nous montre qui doit l‘être pour l’avancée de ce « grand peuple ». Le synode, depuis son début en 2021 est un évènement essentiellement spirituel d’écoute de l’Esprit Saint et non la réunion d’un parlement comme l’a souvent répété le Pape. Ce n’est qu’ainsi qu’il peut porter du fruit.
- Le déroulement même des échanges est un immense pas en avant dans la reconnaissance de l’égalité baptismale de tous les chrétiens.
- Vous savez comment les réunions se sont passées : une douzaine de membres divers : cardinaux, femmes, religieux, prêtres étaient réunis autour d’une table pour réfléchir à la question proposée le matin. Que l’on soit cardinal ou simple laïc ou délégué fraternel c’est-à-dire protestant ou orthodoxe, à chacun était imparti le même temps de parole, 3’, dans ce que l’on a appelé les « conversations dans l’Esprit », sous la surveillance des « facilitateurs » dont plusieurs étaient des femmes. Alors, qu’ils soient Cardinal, simple religieuse, laïc il faut obéir même si c’est une femme qui régule le temps !
- Cette expérience quotidienne vécue durant trois semaines d’écoute réciproque, a permis à tous les participants de comprendre l’importance de l’attention à l’autre.
- Expérience fondatrice, car comment avancer dans les questions délicates telles que la gouvernance de l’Eglise, le rôle de l’évêque, le sacerdoce presbytéral, le diaconat des femmes etc…sans ce souci d’accueil de l’altérité et des différences ? Et ceci vaut pour tous les types de réunions paroissiales, épiscopales et même laïques. Plusieurs évêques s’en sont déjà saisi, en Amérique, en Australie, au Brésil, au Cameroun, en France…
Cette simple « organisation » disons, met déjà en lumière les fruits les plus importants de cette expérience synodale
- La volonté de transformation des relations ecclésiales de l’Eglise , inspirée par l’Esprit Saint et formulée par la hiérarchie elle-même , qui ne se dérobe pas devant la difficulté titanesque de cette initiative.
- La prise en compte de la diversité du peuple de Dieu et de ses attentes par l’écoute des frères et sœurs des 4 coins du monde
- Le caractère délibérément et profondément spirituel des échanges qui se sont voulus écoute fraternelle de l’Esprit Saint
- La reconnaissance du fondement commun de ces rencontres : tous baptisés, prêtres prophètes et rois, cheminant ensemble sous l’inspiration de l’Esprit Saint.
- Sans oublier la présence des « délégués fraternels » car l’œcuménisme s’est révélé être comme l’un des fruits les plus significatifs du Synode. Il a été même proposé pour l’avenir la convocation d’un synode œcuménique sur l’évangélisation ! Je l’appelle personnellement de mes vœux !
Que s’est-il passé entre les deux sessions ?
- Dès le départ étaient prévues deux assemblées synodales à un an de distance car Il était évident qu’entre les deux sessions il fallait approfondir ce qui émergeait de la première. Chantier immense ! d’autant que les questions ne se posent pas de la même manière partout et que l’Eglise a vocation à vivre l’unité dans la diversité.
- 10 questions ont été sélectionnées et confiées à des commissions qui se sont mises au travail vers le mois de février, et doivent remettre leurs conclusions fin 2025. Elles devaient présenter l’avancée de leur travail le premier jour de la session d’octobre 2024 afin d’en informer l’assemblée synodale, mais travaillaient en dehors.
- Parmi ces 10 groupes de travail, la commission n° 5 avait pour titre : Quelques Questions théologiques et canoniques concernant des formes ministérielles spécifiques. Elle devait primitivement comporter la réflexion sur le diaconat ordonné des femmes. Nous y reviendrons.
- Pendant cette même période inter-assemblées, le Pape a voulu réfléchir avec les cardinaux de son conseil privé, le C 9, sur la question du rôle des femmes dans la mission de l’Eglise. C’est une religieuse, Linda Pocher, spécialiste de la théologie d’Urs.Von Balthasar qui a été chargée d’organiser 4 rencontres avec le C 9, rencontres qui ont eu lieu entre novembre et juin 2024.
- Dans la première la théologie de Balthasar à laquelle se réfère le Pape François pour sa réflexion sur le rôle des femmes a été abordée. Les théologiens invités avec Linda Pocher ont souligné que cette riche théologie qui met en valeur un principe marial et un principe pétrinien dans l’Eglise ne concernait pas la répartition des ministères dans l’Eglise. Cet entretien a été publié, le Pape en a écrit la Préface que je voudrais vous lire en entier, car elle nous dit beaucoup sur la réflexion du Pape : ce que je vous lis est la traduction que j’en ai faite, car le livre n’existe qu’en italien :
p.5 Préface du Pape François
La présence et la contribution des femmes enrichissent l’Eglise, participent de son identité. Nous ne les avons pas assez écoutées, il faut le faire pour démasculiniser l’Eglise, car l’Eglise est communion des hommes et des femmes qui partagent la même foi et la même dignité baptismale.
Nous mettant à l’écoute des femmes, nous hommes, nous nous mettons à l’écoute de quelqu’un qui voit la réalité d’une manière différente de la nôtre et ainsi nous sommes amenés à revoir nos projets, nos priorités. Parfois nous sommes dépaysés. Parfois ce que nous entendons est tellement nouveau tellement différent de notre manière de penser et de voir que parfois cela nous semble bizarre et que nous nous sentons intimidés, mais ce dépaysement est bon, il fait grandir. Nous voulons vivre la patience, le respect réciproque, l’ouverture pour apprendre des autres et avancer comme un unique peuple de Dieu riche de ses différences, mais qui chemine ensemble.
C’est pourquoi j’ai voulu demander à une femme, une théologienne d’offrir aux cardinaux un parcours de réflexion sur la présence et le rôle des femmes dans l’Eglise. Le point de départ est la réflexion de Balthasar sur le principe pétrinien et le principe marial qui a inspiré le magistère des derniers pontifes dans l’effort de comprendre et de valoriser la présence ecclésiale différente des hommes et des femmes. Le point d’arrivée cependant est dans les mains de Dieu. Prions l’Esprit saint pour qu’il illumine et aide à comprendre à trouver un langage et une pensée efficaces pour rejoindre les femmes et les hommes d’aujourd’hui pour que grandisse la conscience de la réciprocité et la pratique de la collaboration entre les hommes et les femmes.
Nous sommes heureux de penser qu’à travers la publication des réflexions de Lucia Vantini, Luca Castiglioni, Linda Pocher nous pourrons être à la disposition de ceux qui désirent participer au dialogue synodal et approfondir le thème des rapports ecclésiaux entre les hommes et les femmes, qui me tient tant à cœur. Il s’agit de réflexions qui tendent à ouvrir bien plus qu’à fermer, qui nous provoquent à penser, nous invitent à chercher, à prier.
Ce que je souhaite à cette étape du synode, c’est que nous ne nous arrêtions pas de cheminer ensemble, car nous devons être le corps vivant du Ressuscité en mouvement, en sortie, à la rencontre des frères et des sœurs, sans peur, sur les routes du monde.
Marie, mère de la foi, accompagne nous sur ce chemin[17] »
Cette préface , humble et courageuse, m’a émue, car on y perçoit le désir profond du Pape d’avancer, et en même temps on le sent presque démuni devant une réalité féminine dont il reconnaît dans cette préface qu’elle l’interroge , et un enjeu ecclésial dont il sait le poids pour l’avenir de l’Eglise.
- La deuxième rencontre a fait intervenir une évêque anglicane pour partager son expérience, la 3ème des femmes ayant de grosses responsabilités dans leur lieux ecclésiaux à travers le monde en Amazonie au Brésil en Australie ; et la 4ème des spécialistes du Droit canon concernant la question.
Toutefois après la deuxième réunion du C 9, le Pape à la surprise générale, le 24 avril 24 , a dit un « no » vigoureux au diaconat ordonné pour les femmes, dans une interview donnée à un journal américain. Ce non a provoqué de vives réactions dans l’assemblée synodale qui y a vu une interférence regrettable du Pape dans le processus de réflexion synodale. Nombre de voix se sont levées pour critiquer cette prise de parole, même si elle n’avait pas de caractère magistériel.
- Je citerai seulement la réaction de Mgr Vesco, archevêque d’Alger[18] qui avance les raisons qui, à ses yeux, ont provoqué ce non, je cite : «La première raison, c’est la responsabilité du pape comme gardien ultime de l’unité de l’Église. Il lui revient d’estimer les limites de son « élasticité » dans son immense diversité géographique, historique, culturelle, idéologique. La réception du document Fiducia supplicans sur les bénédictions a montré l’extrême difficulté d’avoir désormais une parole unique audible à travers tous les continents, tant les sociétés et les rapports de l’Église à chacune de ces sociétés sont divers.
- C’est un argument qu’il faut garder à l’esprit, car il y a le risque de départs massifs des femmes de l’Eglise si rien n’avance, oui ; mais aussi celui d’une crispation d’une partie de l’Eglise si l’on avance vers le diaconat ordonné, et qui pourrait provoquer un schisme. 25% des membres de l’assemblée synodale ont refusé le texte final sur ce sujet, c’est beaucoup, même si 75% l’ont accepté !
Une deuxième raison, je cite : Sur la question brûlante de la place des femmes dans la vie de l’Église, et du décalage avec leur place dans la société aux quatre coins du monde, le pontificat du pape François a fait bouger des lignes qu’il était difficile d’imaginer voir bouger. L’horizon se découvre en marchant et ce qui paraissait inimaginable hier, comme la nomination de femmes aux plus hautes responsabilités de la Curie, devient naturel aujourd’hui. De même ce qui paraît inimaginable aujourd’hui deviendra naturel demain. Entendons sans doute : la question de l’ordination des femmes ?
Mgr Vesco soulève aussi la question qui est actuellement essentielle dans la réflexion ecclésiale, celle de l’identité du sacerdoce presbytéral et des ministères. Je cite : Une chose est sûre, aucune évolution substantielle sur cette question comme sur d’autres ne pourra faire l’économie d’une réflexion en profondeur sur le sacrement de l’ordre. Tout en lui est-il intangible, fixé pour l’éternité ? Une colonne vertébrale accompagne la croissance du corps humain. Si elle bloque la croissance, elle rend tout le corps infirme[19].
- Arrivons au 2 Octobre 2024. Les membres de la première session se sont retrouvés avec joie, prenant conscience des liens qui s’étaient créés lors de la première session.
Comment être une Eglise synodale en mission ? c’est la question centrale qui a sous-tendu les échanges.
Cet angle d’approche du thème central de la synodalité orientait les discussions vers l’évolution des structures, des processus et des ministères qui permettent de lier synodalité et mission. C’est pourquoi la dimension théologique a été davantage présente.
Je n’aborderai que la question qui nous occupe plus spécialement ce soir : le rôle des femmes dans la mission de l’Eglise. Nous avons déjà vu dans l’historique que je vous ai proposé les énormes pas en avant qui ont été faits depuis la fin du 19ème siècle, ne les oublions pas. Voyons ce qui s’est passé à la session d’octobre 2024 sur ce sujet :
Ce que je vais vous partager n’engage que moi, car il n’y a pas de texte « officiel », sauf le document final qui ne dit pas grand-chose sur la question qui nous occupe, comme nous allons le voir.
J’ai donc suivi attentivement ce qui a été transmis par Vatican News, Synod-Va, Zénit, La Croix, America, journal américain tenu par les Jésuites qui est l’équivalent de La Croix, les interviews qui ont été publiés, les conférences post-synodales etc… Ce sont mes sources, lues très régulièrement je dois le dire, car cela m’a passionnée et a nourri ma prière !
Pour cette session d’octobre 2024, 5 questions - en dehors des 10 questions confiées aux commissions - 5 questions qui paraissaient les plus importantes pour approfondir le chemin de la synodalité de l’Eglise au service de la mission avaient été privilégiées : une première question plus théologique portait sur le cœur de la synodalité, puis la conversion des relations intra ecclésiales, la conversion des processus de décision, la conversion des liens et l’échange des dons, la nécessité de former un peuple de disciples missionnaires. Ce sont les titres des parties du document final. Cette liste montre déjà clairement l’enjeu de conversion qui sous-tend le processus.
Vous voyez que la question de l’ordination diaconale des femmes n’en faisait pas partie, par décision du Pape, elle ne devait pas être traitée au synode. Mais elle est revenue presque quotidiennement dans les espaces réservés aux questions particulières. Qu’elle ait été retirée des débats de l’assemblée, alors qu’elle avait émergé avec une très grande importance dans la consultation n’a pas été compris.
Plus le temps passait, plus la frustration augmentait, jusqu’au jour où elle a éclaté dans une rencontre avec le Cal Fernandez, responsable à la fois de la doctrine de la foi et de la commission 5. Il est normal qu’il y ait des moments de tension dans une assemblée comme celle du synode qui traite de sujets difficiles et sensibles.
Cette rencontre houleuse a eu lieu le 24 octobre, soit deux jours avant la fin du synode. Le document final était en cours de rédaction, la référence à l’éventualité du diaconat des femmes n’y figurait pas. Sous la pression de l’assemblée, celle des femmes mais aussi de prêtres, d’évêques, de cardinaux, il a été finalement écrit ceci : « cette assemblée appelle à mettre pleinement en œuvre tout ce qui est déjà possible quant au rôle des femmes dans le droit en vigueur,…Il n’existe pas de raison d’empêcher les femmes d’assumer des rôles de guide dans les Eglises : ce qui vient de l’Esprit Saint ne peut être arrêté. La question de l’accès des femmes au ministère diaconal reste également ouverte et le discernement à ce sujet doit se poursuivre. »[20]
Le pape a signé ce document, ce qui pour lui représente un réel revirement après le fameux « no » prononcé en mai. Et comme, pour la première fois,des membres non-évêques ont eu droit de vote, cela donne une portée forte à ce document final qui exprime le consensus auquel est parvenu l’assemblée. Approuvé par le Pape, celui-ci participe donc de son magistère ordinaire et engage l’Eglise dans la mise en oeuvre concrète de la synodalité. Des non-prêtres ont donc, de ce fait, participé à la gouvernance de l’Eglise.
Le 24 novembre dernier, le jour de la fête du Christ-Roi, le Pape a publié une « note » pour accompagner ce document final, demandant aux évêques de le faire vivre dans leurs diocèses, et de préparer un compte rendu de son application pour leur prochaine visite ad limina.
Arrêtons-nous un instant sur l’aspect théologique de la question
Dans les premiers temps de l’Église, le diaconat féminin avait une grande importance : C’est au IIIe siècle que la Didascalie des Apôtres emploie pour la première fois le terme de diaconesse [21], « l’évêque les ordonnait au cours d’un acte liturgique analogue à celui de l’ordination des diacres masculins en vue du sacerdoce »,
Cependant, Saint Épiphane[22] au 4ème s. souligne que « l’ordre des diaconesses est inhérent à l’Église, mais non au sacerdoce, en aucun cas comme prêtresses[23] ». Il dit encore : « Il n’a pas été donné au diacre, dans l’ordre ecclésial, de célébrer les sacrements, mais seulement de servir ce qui est célébré »[24] Il a seulement reçu la grâce sacramentelle de consécration au Seigneur. » De nos jours cette position fait débat : qu’entend-on par grâce sacramentelle [25]? C’est un point théologique qui conditionne en grande partie la question de l’accès des femmes à un diaconat ordonné.
D’autant que Le statut ecclésial des diacres permanents n’est pas clair : Avant d’être ordonné prêtre, le séminariste, célibataire en Occident, reçoit l’ordination diaconale, deuxième degré du sacrement de l’ordre. Or, pour le diacre permanent marié, cette même ordination diaconale ne peut être suivie de l’ordination presbytérale, c’est pourtant le même sacrement. Il est clair qu’il faut une clarification théologique sur le sacrement de l’ordre, son identité et ses degrés avant d’envisager un diaconat féminin.
Mais Il faut aussi et surtout surmonter le cléricalisme de beaucoup de membres de la hiérarchie dont certains seraient favorables à un diaconat féminin sans ordination par peur de l’engrenage vers le presbytérat féminin ! Ce serait donc un sous-diaconat féminin, une injure pour les femmes !
Qu’en est-il de l’ordination des femmes ?
L’ordination presbytérale des femmes serait-elle possible au plan théologique ?
Nous avons déjà vu que rien dans l’Ecriture ne l’interdisait, mais, comme le souligne La Constitution Lumen Gentium, sacerdoce baptismal et sacerdoce ministériel « ont entre eux une différence essentielle et non seulement de degré » laquelle ?
Celui qui a reçu le sacerdoce ministériel jouit d’un pouvoir sacré pour former et conduire le peuple sacerdotal, pour faire, dans le rôle du Christ, le sacrifice eucharistique et l’offrir à Dieu au nom du peuple tout entier[26].Lumen gentium § 10
De quel « pouvoir » s’agit-il ? la question du cléricalisme s’enracine dans une mauvaise compréhension de ce terme qui n’a rien à voir avec une puissance, une autorité, à laquelle il faudrait se soumettre. Le terme grec Exousia, traduit par « pouvoir » signifie la communication de son identité et de l’autorité qui en découle. Il s’agit pour le Christ de communiquer sa filiation divine à l’Eglise. Je développe ce point dans mon livre.
En outre, certains avancent L’importance de la masculinité du Christ pour le ministère sacerdotal. Il faut faire une différence entre la masculinité du Christ (aner) et le fait d’être un humain (anthropos). Ce que nous avons vu avec la Genèse. « Le Christ était vraiment un mâle (aner), mais ce que le Credo proclame, et ce sur quoi les Pères insistent, est qu’il était un homme (anthropos) [27] ». Alors, que penser de l’importance de la T(t)radition voulant que le prêtre soit une personne de sexe masculin ? Ce qu’on appelle Tradition, dépôt de la foi, ce sont les paroles du Christ, expliquées par l’Eglise au peuple de Dieu.
Jean Meyendorf appelle à discerner entre tradition (culturelle) et la Tradition : « la fidélité à la Tradition ne doit pas devenir une autre forme de fondamentalisme. La Tradition est dynamique et non statique et morte[…]. Le grand défaut de l’appel à la Tradition, (poursuit-il), est de nous dire « qu’il n’y a jamais eu de femmes prêtres, mais sans nous dire pourquoi. S’il est réellement impossible à l’Église d’ordonner des femmes à la prêtrise […], alors il devrait se trouver quelque claire explication à cette totale impossibilité ».
Est-il possible alors d’ordonner des femmes ? d’introduire ce changement ecclésiologique majeur dans l’Église ?
C’est ce que disait déjà le Concile de Trente :
L'Église a toujours eu le pouvoir, dans l'administration des sacrements, de prescrire ou modifier ce qui conviendrait le mieux selon les diverses époques ou les divers pays, pour l'utilité des fidèles ou le respect dû aux sacrements, pourvu que soit sauvegardée leur substance[28].
Si l’on reconnaît qu’il n’y a pas d’obstacle au plan théologique à l’ordination des femmes, ne pourrait-on laisser chaque évêque dans sa circonscription géographique décider de l’opportunité d’ordonner des femmes Cette décentralisation de l’Eglise supposerait de donner plus d’importance aux Conférences épiscopales. C’est une des grandes questions qui traverse le synode actuel, entraînant une nouvelle vision de l’unité de l’Eglise dans la diversité des approches pastorales. Une réforme de la Curie romaine, en mars 2022 va déjà dans ce sens.
Il est vrai aussi que si l’Eglise décidait l’ordination des femmes, il faudrait inventer avec elles leur mode de ministère sacerdotal, différent de celui des hommes. C’est l’enjeu de la réflexion qui s’ouvre sur les ministères et la nécessité de leur diversification, cela prendra du temps.
Le 13 novembre dernier une soirée a été organisée aux Facultés Loyola sur le synode. Voici ce que nous a alors partagé le Père C.Théobald,: On lui a posé la question : où en est-on du côté des femmes ? il a répondu ceci je cite : Cela n’a pas été facile, il y a eu des tensions, des crises.(ce que je viens d’évoquer) La ligne qui avait été donnée était : toutes les possibilités du droit canon n’ont pas encore été explorées, commençons par là. Mais cela excluait d’emblée la possibilité de l’homélie pendant la liturgie et la question du diaconat et du presbytérat.
Comment avancer ? Le Père Théobald avance trois pistes : je le cite :
- « Il n’y a pas une question théologique particulière qui s’opposerait à l’accès des femmes au diaconat et je dirais même au presbytérat. C’est essentiellement , à mon avis, une question culturelle. Tout le monde ne partage pas mon avis.
Mais le premier pas consisterait à reconnaître publiquement, tous, une certaine carence d’argumentation pour éviter les arguments d’auto légitimation qui sont toujours là d’une manière ou d’une autre. Cela permettrait d’avancer vers un discernement.
Le deuxième pas consiste à repartir de l’épître aux Galates 5 « il n’y a plus ni esclave ni homme libre, ni juif ni grec, ni homme ni femme » Il faut bien reconnaître que l’esclavage n’a pas été aboli avant le 17ème siècle ! le deuxième axe c’est entre juifs et chrétiens, nous sommes devant la troisième tension : ni homme ni femme, qu’il nous faut dépasser avec l’égalité baptismale.
En fait, Le fond de la question est dans, je cite C.Théobald « le lien interne entre quelque chose qui est constitutif dans l’Eglise, le ministère, aussi constitutif que la synodalité et le versant culturel qui traverse l’Eglise …avec des temporalités différentes.»
Une autre commission sur cette question de l’ordination des femmes au diaconat va se réunir en février, qui – aux dires du Cal Fernandez sera plus large, plus compétente, et plus internationale
Conclusion
- Resituons ce qui concerne les femmes dans l’ensemble beaucoup plus large de la démarche synodale. Celle-ci est un grand moment de conversion ecclésiale, de grâce sous l’action de l’Esprit Saint. En 3 ans, le peuple de Dieu a franchi un pas de géant dans la prise de conscience de l’égalité baptismale qui est le fondement de tout, et de la nécessité vitale d’être à l’écoute de « ce que l’Esprit dit aux Eglises ».
- Bien sûr, on aimerait que la question du rôle des femmes avance plus vite, mais il faut respecter la maturation de la grâce synodale de la prise de conscience de l’égalité baptismale, laisser au peuple de Dieu le temps de se l’approprier, de vivre ces relations nouvelles dans le quotidien du tissu ecclésial. N’oublions pas que nous n’en sommes qu’au commencement du commencement du processus synodal ! Et que nous ne savons pas où l’Esprit nous conduit.
- Alors « que devons-nous faire » ? demandaient à Pierre les 3000 !! présents sous les fenêtres du Cénacle le jour de la Pentecôte. C’est aussi la question à nous poser aujourd’hui.
Prier ! c’est sûr, mais aussi entrer courageusement dans cette écoute de l’autre, là où l’on est.
A nous aussi d’agir là où nous sommes pour expliquer ce processus synodal et en montrer le caractère prometteur. Nous entrons dans une Année jubilaire sous le signe de l’Espérance ! Avec d’autres, peut-être choisir tel ou tel passage du doc. final et le partager dans une conversation selon l’Esprit ? cela relève notre responsabilité de baptisés !
Pourquoi ne pas proposer à votre curé de parler du synode, d’organiser vous-mêmes une soirée qui pourrait être suivie de groupes de partage, ou de faire venir quelqu’un pour en parler. (Entre parenthèses, je suis disponible si cela peut aider !) Aidons les prêtres à entrer dans cette manière de faire Eglise, ils ont besoin de notre confiance et de notre encouragement. Il faut nous lancer, échanger, dialoguer, partager si nous voulons que se transforment vraiment les relations dans l’Eglise et que les réformes que nous sentons indispensables, la gouvernance des évêques, le célibat des prêtres, la liturgie, le rôle des femmes puissent avancer. Cela dépend de chacun. Le Pape a lancé un appel pour que nous soyons « missionnaires de la synodalité » allons-y cela en vaut la peine, et l’Esprit Saint est à l’œuvre.
Si vous souhaitez poursuivre le débat, vous pouvez contacter :
christianejolysfx43@gmail.com
[1] Tertullien, Traité du Baptême, XVII, 4, S.C., n° 35, p. 90.
[2] Ga 3, 28
[3] Nous prendrons ici le nom de Phoebé utilisé dans les traductions de la Bible, de préférence au nom Phoibè utilisé par C. Reynier..
[4] Nous adopterons la graphie de ce nom utilisée par C. Reynier.
[5] Cady Stanton Elisabeth (1815-1902), Encyclopédie Universalis, https://www.universalis.fr. Histoire des femmes. Chef de file du mouvement américain pour les droits des femmes, Elizabeth Cady Stanton formula en 1848 la première demande organisée en faveur du suffrage universel.
[6] Commission Biblique Pontificale, « L’interprétation de la Bible dans l’Église », 1 E 2 Approche féministe.
[7] P. Jacob, Appelées aux ministères ordonnés, p.131.
[8] La Commission biblique pontificale a été officiellement établie par le pape Léon XIII (1810 – 1903) en octobre 1902. Son but était et a toujours été « d’assurer la bonne interprétation et la défense catholique romaine des Saintes Écritures ».
[9] P. Jacob, p. 202.
[10] Pauline Jacob, théologienne, détient un Doctorat en philosophie et en théologie pratique, ainsi qu’une maîtrise de psychoéducation de l’Université de Montréal.
[11] Pauline Jacob, Appelées au ministères ordonnés p. 215.
[12] Le Monde, 4 juillet 2005.
[13]John Wijngaards, hollandais, né en Indonésie, licencié en Ecriture Sainte à l’Université pontificale grégorienne .
[14] Anastasios Kallis, Greek theologian. President Committee Orthodox Church in Germany, since 1984.
[15] « Bild Christi und Geschlecht », IKZ88, Bern, 1998 dans Contact n° 195 p. 249.
[16] Homélie du Pape pour l’ouverture de la session synodale 2/10/24
[17] « Smaschilizzare la Chiesa » ? Confronto critico sui « principi »di H.U. Von Balthasar, prefazione di papa Francesco, Edizioni Paoline 2024. Traduction libre
[18] La Croix , Tribune du 24/05/24
[19] La Croix , Tribune du 24/05/24
[20] Document final, § 60
[21] Didascalie des Apôtres ch. 16.
[22] Saint Épiphane, 315-403.
[23] Évangelos Theodorou , Op.cit., p.134.
[24] Ibid., p. 134.
[25] Bernard Pottier, Le diaconat féminin, Lessius 2021, p. 100 : le diaconat est « un vrai sacrement, selon la formule claire mais prudente quand même de Lumen Gentium § 29 : « la grâce sacramentelle ».
[26] Constitution apostolique Lumen Gentium § 10.
[27] Mgr Kallistos Ware, (et Élisabeth Behr-Sigel) L’ordination de femmes dans l’Église orthodoxe, Paris, Cerf, 1998, p. 55-56,
[28] Concile de Trente, Session 21, cap. 2., Denzinger-Schonmetzer, Enchiridion symbolorum , n. 1728.